En
toute simplicité, avec ses fils et filles, ses voisins et voisines, Lakou
Souvenance Mystique, ou tout simplement « Souvenance », a fêté ses deux cents
ans les 18, 19, 20 et 21 septembre 2018.
Situé à
trois heures de route de Port-au-Prince et à une dizaine de kilomètres au
nord-est des Gonaïves, ce haut lieu du culte vodou d’origine dahoméenne, est un
espace de conservation de traditions musicales, de chorégraphies riches et
originales, ainsi que de survivances linguistiques et mythologiques propres.
Souvenance a fêté au rythme des tambours et des danses traditionnels qui,
généralement, marquent les cérémonies et rituels de ce lieu lors des fêtes de
Pâques. Toutefois, l'affluence habituelle n'était pas au rendez-vous et les
dignitaires de l'Etat qui font le déplacement pour la période pascale ont, pour
ce bicentenaire, brillé par leur absence. Seul un cadre du ministère de la
Culture et quelques membres du Bureau National d'Ethnologie ont représenté le
gouvernement à cet événement qui, pourtant, marque un moment important de
l'histoire du pays. Le serviteur Bien-Aimé, chef suprême du Lakou, a fait
mention de cet élément à plusieurs reprises dans ses prières, son discours de
circonstance et lors de la traditionnelle "Lodyans" de clôture avec
les hounsi le matin du 21 septembre. Il n'a pas manqué de souligner que Lakou
Souvenance a envoyé plus d'une quarantaine d'invitations officielles à
différentes institutions et autorités étatiques pour les convier à cette
célébration. Il n'a cependant pas pu expliquer leur absence qui s'apparente à
du mépris.
À noter que même parmi les candidats, qui ordinairement
profitent de la publicité gratuite qu'offre ce genre d'événements, aucun n’a
fait le déplacement. Peut-être que la faible présence des médias de presse
pourrait expliquer le peu d'enthousiasme de ces personnalités publiques
friandes de caméras. Souvenance, une fête dans la simplicité, selon les
organisateurs Les préparatifs à la célébration du bicentenaire de Lakou
Souvenance ont pu essentiellement être réalisés grâce au support des fils et
filles de Souvenance, des hounsi, du Bureau National d'Ethnologie (qui a
décerné une plaque d'honneur au lakou), du ministère de la Culture, et surtout
grâce à la Fokal. Les festivités se sont ouvertes le vendredi 18 septembre par
un défilé de rara.
La journée du
samedi a été marquée par la finale d'un tournoi de football à l'Ecole Nationale
de Souvenance ; un match opposant Souvenance et Kayon (tournoi dont Souvenance a
fini deuxième). La soirée s'est clôturée par une cérémonie au péristyle qui a
débuté vers 8 h du soir pour se terminer à 3 h dimanche matin. Le dimanche a
été une journée remplie de rituels, de discours, de danses et de couleurs. Du
sacrifice des animaux à la présentation des tambours Ayizan, les initiés sont
passés de la tenue blanche tachée de sang aux costumes d'apparat les unes plus
colorés que les autres, avec une élégance digne de contes de fées.
Le serviteur Bien-aimé et les différents administrateurs
de Lakou Souvenance ont pris la parole pour expliquer aux initiés et aux
visiteurs l'importance de cette célébration. Ils ont profité de l'occasion pour
faire une historique du Lakou, présenter son rôle joué dans l'histoire d'Haïti
et les différentes persécutions tant politiques que religieuses dont il a été
victime au cours des ans. Yvetta Noël, une hounsi de Souvenance, se dit fière
d'avoir pu célébrer les 200 ans du lieu mystique. C'est pour elle un honneur de
faire partie de quelque chose d'aussi grand et de compter parmi les héritières
des traditions de ce Lakou. Elle félicite Souvenance d'avoir résisté malgré les
persécutions, et de continuer à perpétrer la tradition. La prêtresse dit être
satisfaite de la célébration et que tout ce soit bien passé. Toutefois, elle
regrette deux choses : d'abord le fait que tous les hounsi et hougan du Lakou
n'ont pas pu être présents à cette célébration, parce que bon nombre d'entre
eux vivent dans la diaspora ; ensuite que la fête n'a pas été aussi grandiose
comme pour la Pâques, faute de moyens. Yvetta pense que les retards accusés
dans les préparatifs sont à la base de ces deux éléments et seront corrigés à
l'avenir. Pour la vodouisante, la célébration du bicentenaire est une occasion
pour Souvenance de s'affirmer une fois de plus comme un centre important de
rayonnement religieux et culturel dans le pays et de se présenter comme une
institution permanente, un centre stable et pérenne d’activités spirituelles.
C’est un espace de conservation de traditions musicales, de chorégraphies
riches et originales, ainsi que de survivances linguistiques et mythologiques
propres.
Le sanctuaire de
Souvenance Mystique et ses traditions liturgiques et spirituelles représentent
un témoignage exceptionnel sur les origines nationales de la religion haïtienne
et sur sa préhistoire africaine. Les croyances et les pratiques dont on peut
suivre aujourd’hui les observances à Souvenance offrent l’exemple unique d’une
vivante continuité avec les premières époques de l’Indépendance et de la fondation
de la nation et, par-delà, les éléments correspondants du patrimoine religieux
dahoméen qu’avaient apportés avec eux les Noirs amenés dans la colonie.
Christopher PIERRE
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